Ma mémoire et la mer (suite et fin)
J'en rêvais depuis que je fais du bateau mais je pensais que cela ne se ferait jamais, et puis...
En novembre 2002, l'ami d'un ami, qui entamait un tour du monde, avait besoin d'équipiers pour traverser l'Atlantique. Sans réfléchir plus avant, j'ai répondu présent! C'est seulement ensuite que les questions sont venues : en suis-je capable? est-ce dangereux? le skipper est-il apte? Le voilier est-il en bon état? Je me suis embarqué des Canaries avec mes deux compagnons le 16 novembre 2002, sur Virgo, un Dufour de 36 pieds, sans avoir obtenu de réponses à mes interrogations.
Je n'avais fait jusqu'alors que du cabotage, pas de navigation de nuit, et quand j'ai pris mon premier quart, de 22 heures à minuit, je n'en menais pas large! S'il y a d'autres bateaux, vont-ils me voir?... Puis la crainte passe et subsiste la magie du silence, le ciel, tel que je ne l'avais jamais vu, des milliers d'étoiles, invisibles dans nos métropoles trop éclairées. De la mer, de temps en temps, surgissent des éclats phosphorescents, irréels : du plancton m'a-t-on dit.
Il faudrait raconter les couchers de soleil, les quarts du matin, quand le soleil émerge à l'horizon, les centaines de dauphins qui nous ont fait un bout de conduite pendant toute la traversée, le vent soutenu, la houle, forte tout au long de la croisière, souvent inquiétante, en tout cas permanente. Il faudrait parler des deux fois où le voilier s'est couché et où il a été nécessaire de mettre le moteur en marche pour le redresser. Il faudrait aussi évoquer les petits déjeuners agités où il faut faire des miracles pour ne pas renverser son bol de café, les succulentes et très belles dorades coryphènes, les derniers fruits frais dégustés quasi religieusement, et le champagne frappé siroté au milieu de l'océan.
Les jours passent, la température augmente à mesure que nous descendons pour attraper les alizés, la fatigue physique est là car il est difficile de dormir tant le voilier roule et puis une nuit, des lumières apparaissent au loin, les premières depuis 15 ou 16 jours, le retour de la civilisation. Au matin, en effet, la côte de Martinique est là toute proche, reconnaissable au rocher du Diamant et j'éprouve à la fois du soulagement mais aussi une sorte de nostalgie en comprenant que l'aventure est finie. C'est très vite la marina du Marin et le saut sur la terre ferme. Les premiers pas ne sont pas très assurés!...